Mort pour la France

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C'est le premier anniversaire de l'armistice de la Grande Guerre qui sera commémoré sans poilu. Une page se tourne encore...

Le site genealogie.com recense 97446 morts pour la France* qui ne sont pas entrés dans les statistiques, pour n'avoir pas été reconnus victime directe de faits d'armes [1]. La «mention» entre en effet dans un cadre légal strict [2].

Ceux qui, bien véritablement morts en conséquence de la guerre, mais qui n'ont pas passé l'examen d'entrée (post mortem) ne bénéficient pas de cet honneur bien innocent. Sont inclus les soldats sans famille, les orphelins, les combattants indigènes, les soldats morts de maladie, des suites de blessure, des suicidés, des «fusillés pour l'exemple», pour insoumission, ou jugés par des tribunaux militaires comme déserteurs ou «grévistes des tranchées» [3].

En soit, ceux qui, déjà bien malheureux par ailleurs, ont fini leur vie brisée loin du champs d'honneur et de la mémoire collective. Ils ne sont pas sur les monuments aux morts, pas dans les registres, plus dans les mémoires.

Ils sont plus symboliques encore que les autres de l'absurdité de la guerre, car il n'y a même pas d'honneur à être mort de la sorte, «comme un cocu» auraient ils dit, sans émouvoir la bonne conscience nationale, sans être traité de héros. Ils ont été sacrifié totalement. Mourir pour avoir son nom sur une plaque, ou pour une médaille, pour une minute de silence, c'est absurde, mais mourir pour moins que cela, pour moins que rien, c'est cela la véritable atrocité de la guerre, c'est celui qu'on a envoyé se faire massacrer sans même se rendre compte ou se soucier qu'il y a bien laissé sa peau.

Il y a de tout dans cette liste. Il y a l'orphelin et l'indigène, il y a aussi le suicidé ou le déserteur. Sont ils dans la même catégorie? Doit on honorer ceux qui ont refusé de se battre? Il est maintenant reconnu que la grande majorité des (peu nombreux) poilus qui se sont rebellés étaient aussi des héros, mais de ceux qui en ont eu assez d'être traité comme de la chair à canon. Ils n'étaient même pas des pacifistes. Ils le sont devenus. Ils ont pour moi les mêmes lettres de noblesse. Un certain hommage leur a d'ailleurs été rendu par la suite. Je ne veux pas faire l'écho de celui, politique, qui est à ranger avec les autres opérations marketing. Mais je renvois par exemple à l'admirable film «le pantalon», qui illustre bien comment la machine de guerre broie sa matière première.

Il y a de tout dans cette liste. Il y a aussi mon arrière grand père, Pierre Laussy, mort à Chalvignac, dans son Cantal natal, quelques mois après ce 11 Novembre d'il y a 93 ans. Lui est mort des séquelles d'une attaque au gaz moutarde, l'ypérite. Il avait les poumons brulés presque autant que le reste. Il a agonisé et s'est éteint en même temps que ce feu qui lui dévorait la cage thoracique, sans se soucier, certainement, de la liste des morts pour la France. Il fait néanmoins parti de ceux là qui sont mort un peu plus que les autres. Il n'est pas non plus dans la liste élargie de genealogie.com dont je parlais plus haut. Celle-ci se limite aux dates 1914-1918. Si l'armistice avait été signée le 1er Janvier 1915, il y serait donc peut-être.

Son père s'appelait Antoine Laussy. Il était un propriétaire fermier qui avait eu une affaire avec une bonne. La bonne fut répudiée mais elle hérita d'une petite propriété, à Chalvignac, donc, où elle vécut avec son fils. Elle s’appelait Laroche, mais son fils fut autorisé, ou obligé, je ne sais pas, à prendre le nom de son père, Laussy. Mon nom aujourd'hui. Un Antoine Laussy figure sur le monument aux morts de Tourniac, à quelques 18 km de là [4]. Peut-être est-ce lui, mon arrière-arrière-grand-père? Mais lui semble être tombé à 32 ans, bien trop jeune pour que son fils l'ait accompagné dans la même mort de la même guerre. L'état civil recensé sur internet est bien incomplet (je n'y figure d'ailleurs pas moi même), mais quelle coïncidence... Mon père savait tout cela en plus de détails, mais même si je n'ai retenu que le plus important, son père à lui n'aimait guère parler des autres Laussy, de l'autre village, peut-être de Tourniac, avec qui nous n'avions plus «à faire». Voilà comment la guerre, et ce qu'elle garde, et ce qu'elle oublie, me renseigne sur de possibles histoires de famille...

Et toute cette histoire, en plus de rappeler que les «morts pour la France» ne sont qu'un outil de propagande pour le pouvoir qui n'a aucun intérêt pour les drames et les injustices où il a précipité son peuple, toute cette histoire donne un peu d'ampleur aux chiffres. Les cent-milles qu'on racole un peu tardivement ne sont qu'une fraction. Combien sont-ils, véritablement, ces martyrs, si l'on pouvait y ajouter ceux que l'on oublie encore? La tragédie fût tellement profonde qu'on n'en touchera jamais le fond. Nous ne pouvons qu'écouter les réverbérations dans cet abysse des voix faussement émues et des trompettes des défilés militaires, qui trouvent dans cet écho une manière de se faire remarquer.

Qu'ils appellent, un peu idiotement, «non mort pour la France», pour les distinguer de ceux qui possèdent cette qualification de façon officielle.