Le premier mort de la police

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Aujourd'hui, lors d'une manifestation contre la sécurité globale, l'on a vu un policier recevoir un pavé sur la tête. Il n'a fait que rebondir. Sous le casque, on n'a apparamment qu'à peine ressenti le choc. La formation s'est crispée... un pavé, ça va, une pluie de pavé, ça pourrait se passer autrement. Mais rien de plus. Un peu de tension, guère plus que pour un mouvement de foule un peu volumineux ou un encerclement imprévu. La police est bien équipée, il ne s'est rien passé.

Pas encore. Ce sera un pavé qui n'ira pas rebondir sur un casque mais s'écraser sur une tête nue, ou qui transpercera une visière, ou alors un objet contendant arraché d'une barricade, un bout de mobilier urbain un peu tranchant, peut-être même une arme, blanche, par destination, voir même une balle, perdue ou voulue, une voiture dans le tas, une cuisinière jetée des toits, un déferlement sur un malheureux isolé, mais c'est inévitable, peu importe la façon, un policier va tomber. Après lui en viendront sûrement d'autres mais on ne contera plus tellement. C'est le premier d'entre eux qui sera très marquant, qui va marquer au fer rouge, parce qu'on aura alors tout un défilé d'indignations, du président, du premier ministre, du ministre de l'intérieur, du conseil des ministres, des conseillers de ministres, de l'opposition, du parlement, du sénat, des préfectures, sous-préfectures, des journalistes, des commentateurs, de tout le monde, qui viendront nous raconter que l'ordre républicain, que la fondation de notre état de droit, que le ciment de notre société vient d'être battu en brèche et que par conséquent, la police elle aussi, maintenant, peut et doit se défendre, et retourner les coups mortels. On est bien déjà mort de l'autre côté mais par accident ou par détour, ça n'a pas trop compté. Lorsque ce sera le tour de la police, et il semble que tout soit fait, ou laissé faire, pour que cela arrive tôt ou tard, ça sera, bien sûr, une marche de plus gravie vers l'issue finale et fatale de cet escalier qui n'aboutit qu'à une chute, d'autant plus vertigineuse qu'on continue à le grimper avant d'en tomber.

Il faudrait tout arrêter maintenant. Mais n'avons nous pas déjà franchi la ligne de non retour? La chute n'est-elle pas irrémédiable? On en croirait presque que tout est fait pour en arriver là, et commencer, une bonne fois pour toute, les festivités, celles où l'on joue avec sa vie, ou plutôt, avec celle des autres. Les provocations s'accumulent, la police arrête manu-militari les mères de familles sur le marché pour un masque sous le nez [1], met en prison des gens pour n'avoir pas un papier dans leur poche pour déambuler sur les trottoirs [2], jette les journalistes au sol en les méprisant, avec insultes et menaces... et cela n'est qu'un décompte de ce qu'il s'est passé aujourd'hui même! Hier, sans masque, elle verbalisait un commerçant en tournée qui non plus n'avait pas son papier en due forme, ou elle menaçait d'en embarquer un autre chez lui sous motif qu'il n'avait pas ses papiers sur la place publique! Demain, elle rafflera au hasard dans la rue, elle dégommera une fillette pour s'être gratté le nez, elle entrera de force chez les gens pour vérifier l'état sanitaire des lieux. Il y aura un moment, c'est inévitable, où ça va mal se terminer, où l'arrestation va se transfomer en rebellion et, par escalation, en accident, en blessures graves ou mortelles, voir même en assassinat. Ça crève les yeux, si l'on ose écrire.

J'ai déjà dit plusieurs fois que je reste pantois de la patience Christique de la population qui endure des humiliations que jamais, il n'y a pourtant pas si longtemps, les adultes de mon enfance n'auraient tolérées. Moi, j'ai vu de mes propres yeux les gens envoyer paître, pour rester poli, la gendarmerie (parce qu'on était dans un village) pour ce que l'on considérait alors comme se méler des affaires des autres, ou d'avoir outrepassé ses prérogatives, qui certainement dans tous les cas ne constituaient aucun abus. Je me souviens d'avoir entendus des phrases telles que "on est encore en république, à c'que j'sache!" Du subjonctif dans l' amuïssement. J'ai connu de telles anecdotes où une voiture s'arrétait pour "allumer" des policiers qui controlaient une jeune femme sur le bord de la route... c'était une façon de faire la cour au Cantal, m'a-t'on dit. L'Hécatombe de Brassens n'avait rien d'incongrue. Jamais, oh grand jamais, l'on aurait toléré la plus infime injustice des forces de l'ordre. Alors de voir la police trainer des femmes par terre et par les cheveux, pousser de frêles grand-pères dans le dos et les envoyer s'écraser le nez sur le bitume, malmener un handicapé sur sa chaise roulante, taper sans retenue en bande et sous des scaphandres qui font des pavés de simples caresses, je ne parle même pas de mettre en joue les gens à bout portant ni même de les éborgner, sans que cela ne résulte en insurrection, au mieux en quelques esclandres de tel ou tel, c'est quelque chose qui m'apparaît simplement incroyable. Je ne sais pas si nous tendons l'autre joue, ou si nous sommes simplement devenus des "tarlouzes", à l'image de notre président. Je ressens profondément que c'est la patience, la retenue, pas la lâcheté, qui retarde la réponse, mais que celle-ci sera, hélas, non proportionnée. C'est hideux, une foule qui se lache, qui se venge. C'est inhumain, c'est barbare, sauvage, animal. Il sera facile, alors, de condamner. Il sera presqu'impossible, déjà même illégal, de faire autrement. Mais ce qui est condamnable, ce n'est pas ce moment que l'on repousse, et repousse, et repousse jusqu'à l'émasculation. Ce qui est condamnable c'est cette insistance à toujours pousser plus loin l'humiliation, l'abus de pouvoir, la dégradation, la violence physique, à nous agiter le sécateur sous le nez. C'est insupportable.

Hugo avait déjà écrit pour cet instant qui n'a pas encore eu lieu, que s'il nous faudra choisir, ce sera pour le peuple, car il y a plus longtemps qu'il souffre. Lorsque ce moment sera arrivé, j'espère que je n'aurai ni à choisir, ni que je choisirai. Peut-être la simple neutralité sera ma participation à cette confrontation, à cet embrasement initial qui sera le coup de départ du cataclysme final. Simplement je réitèrerai que c'était inévitable, apparamment même voulu, qu'on l'avait bien cherché... Peut-être sous la forme d'un dicton, de notre glorieux passé en ces temps où nous semblons n'avoir plus de futur: tant va la cruche à l'eau, qu'à la fin elle se casse.