Le Magnifique

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Ah! Si c'est pour la France! Figurez vous que j'avais peur de trahir!
—Le Guignolo.

Belmondo est mort aujourd'hui. C'était déjà une légende de son vivant. Pour ceux qui étaient, comme moi, enfants quand il était l'As des As, même ce cinéma plutôt médiocre était un pinacle du génie Français. Il avait, par sa désinvolture et son exubérance mêlée, le don de surjouer des navets en chefs-d'œuvres. Comme toute le monde, je l'aimais. Il est mort... c'est une part de ma France, celle qui n'existe plus, qui part, qui existe encore moins.

Il aura marqué tout le monde. Il était une véritable icône Française, une de celles comme il y en a peu pour l'unanimité qu'elles ont su susciter à travers les âges, les époques, les goûts et les niveaux. Je me souviens d'un commentaire de Barjavel qui, relatant une prise d'otage dans les Années de la liberté, interprétait le commentaire des victimes du syndrome de Stockholm, en parlant de leur preneur d'otages:

Elles n'ont pas ajouté qu'il était beau, mais une d'elles a précisé qu'il ressemblait à Belmondo. C'est-à-dire quelque chose de plus que beau.

Je dirai plutôt, quelque chose d'autre que beau... La beauté, c'était Delon. Belmondo, c'était bien au-delà de ça, c'était le style, la belle et la bonne gueule, c'était le Français moyen au top de sa superbe: rayonnant, impétueux, insouciant, insolent, olympien. Le Français, finalement, c'est le beau et le gentil, qui endosse toujours, à la fin, le sort du perdant et du méchant, c'est ce que Belmondo jouait de façon naturelle, innée.

Pour moi, au rang des films les plus marquants, il y a d'abord, parce que le plus emblématique, le Magnifique, où l'acteur se joue lui même, se rie de son talent, usurpé, puisqu'il faut bien le reconnaître, le niveau de la plupart de ses films ne vole guère plus haut que celui de ses voltiges, et quelle maigre prouesse que de faire ses propres cascades! Même Tom Cruise faisait ça mieux que lui... les cascades de Peur sur la ville sont en effet bien pathétiques. Le Magnifique, par contre, quel acteur, quelle histoire et quel talent pour embrasser ces deux extrêmes qui étaient, au fond, lui même. Il se sera joué tout entier...

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Ce film là, il excuse tous les autres, les Marginaux, les Guignolos, les Cartouches, les [https://www.imdb.com/title/tt0058203 Hommes de Rio, les Professionels et autres [https://www.imdb.com/title/tt0059831 Tribulations d'un Chinois en Chine, qui avait au moins un bon titre.

Et puis il y a Week-end à Zuydcoote. Je ne sais pas pourquoi, ce film m'avait mordu d'une mélancolie terrible... c'est peut-être parce que l'acteur interprétait alors l'Histoire de France. Et comme je l'ai dit, il était tellement juste, pour jouer le Français... c'est peut-être le drâme de mon Pays qui me giflait depuis l'écran.

Un singe en Hiver. «C'est ça, le soleil!» Les claquettes n'étaient pas si réussies que ça, mais la réplique, la boutade, l'intention, la fierté, ça, c'était juste, et c'était drôlement plus difficile à capturer que le Flamenco.

L'Incorrigible, encore un nom à la con, mais en compagnie de Julien Guiomar, là aussi il y avait une dimension d'Universel, et pas seulement pour le Mont Saint-Michel... peut-être aussi parce qu'il avait repris un peu l'idée et la dynamique du Magnifique (tourné deux ans auparavant). Hold-Up, avec Jean-Pierre Mariel au sommet de tous les seconds rôles possibles, ne souffrait pas par ailleurs d'une trâme, pour une fois, originale. Le Cerveau, avec une brochette d'acteurs incroyables: Bourvil, David Niven, Eli Wallach, et Belmondo qui les surmontent, tous! Quel acteur... j'illustrais il y a encore quelques mois la France révolue de mon enfance de l'une des scènes marquantes du film, qui n'en manquait pas entre Silvia Monti et la Statue de la Liberté.

Cent-milles dollars au soleil, une autre interprétation magistrale du roublard, fort-en-gueule mais bonne-pomme, qui me rappelle les adultes de mon enfance. Maintenant il n'y a plus que des vieux. Et moi avec, bien sûr. J'ai l'impression d'avoir sauté de l'enfance à la sénilité sans avoir été Belmondo. Et il est trop tard. Lui est mort, et nous aussi.

Et puis il y a les films mythiques: Pierrot le Fou, qui n'est pas non plus, je crois, un bon film, tout sonne faux, c'est trop artistique, mais qui n'en reste pas moins, paradoxalement, un grand film. Après À bout de souffle, dont il y aurait également beaucoup à dire, il semble que Godard s'approchaît de son chef-d'œuvre, qui lui aura toujours échappé (un peu comme Jean-Pierre Jeunet qui avait tourné autour d'Amélie avant de la trouver).

Finalement, même les films les plus ratés, les plus grossièrement rabaissés aux courses poursuites débiles, aux combats de coqs, aux histoires d'amour à l'eau de Rose, comme le Casse, ont quelque chose de suffisant pour en faire des classiques: la musique (Morricone), les acteurs (Sharif), et une touche de génie (Belmondo). Il disait qu'il aimait tous ses films, même ceux qui n'étaient pas bons. Son public aussi.

La morale de son œuvre, c'est encore le Magnifique qui nous la confie:

Tu sais, j'ai écrit 42 bouquins. Des petits... Mais, dans chacun, il y a 4 ou 5 bonnes pages.

Ce à quoi il nous faut répondre: «Ça fait le compte!». Chapeau, l'Artiste.