La Mort en face

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La Mort en face est le recueil des derniers poèmes de Robert Brasillach, écrivain collaborationniste de l'Allemagne Nazie, qui, attendant la mort à la prison de Fresnes, écrivait des poèmes entre prières et relecture de la Passion du Christ. Un mélange des genres, pour celui qui ne comprend rien.

Jean Marie Le Pen est mort aujourd'hui. Plus que quiconque dans la politique d'après-guerre, il aura lui aussi incarné un mélange des genres, bien qu'en politique, il est facile de ne voir que ce que l'on imagine, et de tomber ou dans l'idolâtrie ou dans l'aversion rabique. Le Pen ne laisse personne indifférent, ce qui est un tour de force pour quelqu'un qui n'aura exercé, au final, aucune responsabilité majeure.

Mais même comme second rôle de l'Histoire, son parcours aura été remarquable: député sous la quatrième république, sous la cinquième, il chanta au pupitre de l'assemblée nationale. Sans notes (à lire), tel qu'on devait le faire dans les années 1790. Je me souviens d'avoir été marqué par cette démonstration de force, d'intemporalité, d'audace, toujours de l'audace, depuis que Danton, j'en suis sûr, avait d'une même façon harangué les bancs débordant de conformisme, de discours préparés et de bonnes intentions remâchées.

Personnage sulfureux s'il en est, grand tribun, mais aussi militaire, Le Pen avait dans la voix une fébrilité que l'on pouvait facilement faire passer pour de la haine. Il en était devenu le symbole, à tel point qu'en ce jour, sa mort est célébrée en liesse dans les rues de Paris. L'on chante victoire, libération et renouveau, alors qu'à 96 ans, sa voix autrefois rugissante devenue douloureuse, ne s'épanchait plus guère que sur son âge avancé, son arbre à la Trinité sur Mer qui désormais pousse tout seul, figé là où il est né, et sur des marins sans bateaux. Quel hommage du vice à la vertu que de se saouler de haine pour étancher sa soif du fiel que l'on reproche à son bourreau.

Accusé de torture, de néo-nazisme, d'apologies de crimes de guerre, de racisme et autres indignités, il n'aura jamais été établi quel parti Le Pen avait jamais pris dans tout ce qu'on lui reprochait. Même de ses esclandres avérées—le détail en tête de liste—il s'expliquait de tout, ne se dérobait de rien. Si l'on s'autorise la faiblesse de l'écouter, même sa plus grande offense était, au final, argumentée, faisant référence aux mémoires de de Gaulle et de Churchill en terme factuels et recevables. Je ne sais pas ce qu'un critique honnête et impartial pourrait factuellement lui reprocher. Je crois que seuls ses partisans seraient en droit de lui en vouloir un tant soi peu: le plus grand danger posé par Le Pen aura été de n'avoir pas su ni vaincre ni convaincre et d'avoir laissé le véritable fascisme, néo-libéral, liquider la France. Son plus grand tort aura été d'avoir échoué. On n'a pas le droit à l'échec, lorsque l'on se revendique de Jeanne d'Arc.

Quelle est sa part de responsabilité? Lui même ne reprochait pas aux Français leurs votes pourtant impardonnables, et, en dépit des accusations, il s'est révélé être un démocrate exemplaire. Il n'est pas impossible qu'il fût l'une des première victimes de cette méthode post-Nuremberg de sapage de réputation, qui consiste à noyer de calomnies celui qui serait, autrement, un modèle ou un héros. De ces méthodes dégueulasses contre lui, je retiens avant tout le deuxième tour des élections présidentielles, où la démocratie s'érigea face à lui en lui retirant la parole pour commencer, avec l'annulation du débat d'entre deux-tours, et par une immense campagne de propagande pour orienter un vote qui n'aurait pas été plus manipulé si décidé par décret. C'est à cette occasion que j'ai réalisé la farce grossière que représente cette démocratie auto-proclamée. La dernière fois que j'ai voté dans ma vie fût à l'occasion de ce deuxième tour entre Chirac et Le Pen. Je me suis senti, pour la première fois, citoyen, mais au sens de Gheorgiu. Je m'interdis dès lors d'être complice, ou même acteur, de ce spectacle de dupes. Depuis ce jour du 5 Mai (2002), je ne me sens plus démocrate. La faute à Le Pen? Même pas. Comme je viens de l'écrire, il était, lui, un démocrate modèle.

Si l'on n'a que des doutes quand à ce qu'on pourrait lui reprocher, il n'y a aucun doute quand à ce qu'on peut lui reconnaître: son caractère bien Français, du moins de ces Français d'avant guerre, dont il venait. J'entend par là une fierté, un courage, une liberté de principe et une indépendance d'esprit qui faisait du Français un être à part d'entre les peuples. Le Pen avait par dessus ces qualités maintenant disparues, un sens aiguisé de l'honneur, du devoir et de la patrie—qualités qui ne servent plus à rien depuis qu'il faisait de la politique et qui n'ont ainsi jamais pu l'aider à triompher. Il avait aussi une grande culture, non seulement politique, mais également littéraire. Parce qu'il était Breton, il avait aussi un goût immodéré pour la provocation.

Toutes ces qualités jointes l'ont amené à honorer, à plusieurs reprises, Brasillach. Ce n'est pas anodin lorsque l'on mesure l'importance et la signification de l'exécution de Brasillach, ainsi que ses conséquences (celle d'amèner à Bardèche n'étant pas la moindre). J'ignore qui, mis à part Le Pen, mis à part ceux qui sont, ou veulent se placer, dans son ombre, a eu le courage de cet acte fou, cet acte de foi en la dignité humaine: citer un poète maudit.

S'il a beaucoup échoué, dans cette incursion littéraire du divin et du maudit mêlés, Le Pen aura été magistral. L'un des scandales qu'on lui reprocha énormément était d'avoir récité, encore une fois sans notes, l'un des plus beaux poèmes de l'écrivain; L'Enfant Honneur. Le scandale était si grand que je n'en trouve même plus la trace vidéo aujourd'hui. De mémoire, la citation était, même avec sa voix de militant enragé, voluptueuse. Pour cette défiance à la bien-pensance, pour cette opposition à la tyrannie, pour cette bravade contre l'idéologie, pour l'honneur du génie humain, je veux honorer à ma façon cet homme hors du commun—en bien ou en mal n'est plus la question—de cette poésie qu'il réhabilita contre la bêtise et l'injustice, et qui semble avoir été écrite pour lui:

Quel don offrir à ma patrie
Qui m’a rejeté d’elle-même?
J’ai cru que je l’avais servie,
Mais encor aujourd’hui je l’aime.
Elle m’a donné mon pays
Et la langue qui fut la mienne,
Je ne puis lui léguer ici
Que mon corps en terre inhumaine.