Le Magnifique

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Ah! Si c'est pour la France! Figurez vous que j'avais peur de trahir!
—Le Guignolo.

Belmondo est mort aujourd'hui. C'était déjà une légende de son vivant. Pour ceux qui étaient, comme moi, enfants quand il était l'As des As, même ce cinéma plutôt médiocre était un pinacle du génie Français. Il avait, par sa désinvolture et son exubérance mêlée, le don de surjouer des navets en chefs-d'œuvres. Comme tout le monde, je l'aimais. Il est mort... c'est une part de ma France, celle qui n'existe plus, qui s'éloigne encore, qui existe encore moins.

Il aura marqué tout un chacun. Il était une véritable icône Française, de celles qui on pu susciter l'unanimité à travers les âges, les époques, les goûts et les niveaux. Je me souviens d'un commentaire de Barjavel qui, relatant une prise d'otage dans les Années de la liberté, interprétait le commentaire des victimes du syndrome de Stockholm, en parlant du preneur d'otages:

Elles n'ont pas ajouté qu'il était beau, mais une d'elles a précisé qu'il ressemblait à Belmondo. C'est-à-dire quelque chose de plus que beau.

L'observation est pointue: «plus que beau»... La beauté, c'était Delon. Belmondo, c'était tout autre chose, c'était le style, la belle et la bonne gueule, c'était le paradigme Français au top de sa superbe: rayonnant, impétueux, insouciant, insolent, olympien. Le Français, finalement, c'est le brave et le gentil, qui endosse toujours, à la fin, le sort du con et du perdant, c'est le héros vaincu, le juste trompé... c'est ce que Belmondo jouait de façon naturelle, innée.

Pour moi, au rang des films les plus marquants, il y a d'abord, parce que le plus emblématique, le Magnifique, où l'acteur se joue lui même, se rie de son talent, et de son succès, usurpé, puisqu'il faut bien le reconnaître, le niveau de la plupart de ses films ne vole guère plus haut que celui de ses voltiges, et quelle maigre prouesse que de faire ses propres cascades! Même les Américains font cela mieux que lui... les cascades de Peur sur la ville sont en effet bien pathétiques, même si en ces temps où l'on a peur de mourrir pour sortir sans masque chirurgical, je me rends bien compte que ça a de quoi retourner l'estomac. Celles qui impressionnent sont surtout bien inconscientes. Le Magnifique, par contre, où même les acrobaties sonnent justes, quel acteur, quelle histoire et quel talent pour embrasser ces deux extrêmes qui étaient, au fond, lui même. Là, il se sera joué tout entier... Pas facile, de s'interpréter!

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Ce film là, il excuse tous les autres, les Marginaux, les Guignolos, les Solitaires, les Professionels et autres titres grand-public pour le produit Belmondo. Même lorsqu'il y avait une tentative de la part de ceux dont c'était la responsabilité—les directeurs—d'aller chercher un peu de profondeur et d'inspiration chez ceux qui en avaient, comme Jules Verne pour les Tribulations d'un Chinois en Chine, ce qui faisait au moins un bon titre, ou Hergé pour l'Homme de Rio (qui aurait du être l'Oreille Cassée, et aurait également au moins sauvé l'affiche), l'adaptation est tellement superficielle qu'on perd vite la trace de la source. Le Magnifique se détache encore, puisque le titre, même s'il singe les autres, ou peut-être grace à cela, retombe sur ses pieds et trouve toute sa justesse. C'est ce qu'était Belmondo... c'est d'ailleurs ce titre qu'une large partie de la presse a retenu en hommage nécrologique. À noter qu'un titre alternatif, «l'Homme d'Acapulco», se joue également de ce grimage aux resources inépuisables. Même sans chercher dans la géographie, il y avait encore de quoi faire, entre Le Fabuleux, Le Téméraire, L'Incroyable, L'Indomptable, Le Courageux, Le Casse-Cou, L'Audacieux, L'Imprudent, Le Hardi, le Résolu, Le Risque-Tout... Son destin téléphoné de Poquelin sacrifié sur scène au détour d'une mauvaise cascade finalement ratée, au moins, lui aura été épargné. J'ai quelqu'indulgence aussi pour Cartouche et les Mariés de l'An Deux, avec un effort sur l'ambiance et les costumes, mais je crois véritablement pour un titre un peu mieux inspiré.

Et puis il y a Week-end à Zuydcoote. Je ne sais pas pourquoi, ce film m'avait mordu d'une mélancolie terrible... c'est peut-être parce que l'acteur interprétait alors l'Histoire de France. Et comme je l'ai dit, il était tellement juste, pour jouer le Français... celui qui a tout pour gagner, mais qui perd finalement tout. C'est peut-être le drame de mon Pays qui me giflait depuis l'écran.

Un singe en Hiver. «C'est ça, le soleil!» Les claquettes n'étaient pas si réussies que ça, guère plus que le reste de son interprétation, mais la réplique, la boutade, l'intention, la fierté brisée, la dignité retrouvée, ça, c'était juste, et c'était drôlement plus difficile à capturer que le Flamenco. Une seule scène, si elle est parfaite, suffit à immortaliser un film. Et puis, à côté de Gabin, ça n'était pas rien de n'être qu'à la hauteur.

S'ensuit la longue liste des films cent fois passés à la télé, quand on la regardait encore. L'Incorrigible, encore un nom à la con, mais en compagnie de Julien Guiomar, là aussi il y avait une dimension d'Universel, et pas seulement pour le Mont Saint-Michel... peut-être aussi parce qu'il avait repris un peu l'idée et la dynamique du Magnifique (tourné deux ans auparavant). Hold-Up, avec Jean-Pierre Mariel au sommet de tous les seconds rôles possibles, ne souffrait pas par ailleurs d'une trâme, pour une fois, originale. Le Cerveau, avec une brochette d'acteurs de légende: Bourvil, David Niven, Eli Wallach, et Belmondo qui, cette fois, les surmonte, tous! Quel acteur... j'illustrais il y a encore quelques mois la France révolue de mon enfance de l'une des scènes marquantes du film, qui n'en manquait pas entre Silvia Monti et la Statue de la Liberté. Cent-milles dollars au soleil, en début de carrière, et son pendant en fin de carrière, les Morfalous, en autres interprétations magistrales du roublard, fort-en-gueule mais bonne-pomme, qui me rappelle les adultes de mon enfance. Maintenant il n'y a plus que des vieux. Et moi avec, bien sûr. J'ai l'impression d'avoir sauté de l'enfance à la sénilité sans avoir été Belmondo. Et il est trop tard. Lui est mort, et nous aussi.

Et puis il y a les films mythiques: Pierrot le Fou, qui n'est pas non plus, je crois, un bon film, tout sonne faux, c'est trop artistique, trop intellectuel, mais qui n'en reste pas moins, paradoxalement, incontournable. Après À bout de souffle, dont il y aurait également beaucoup à dire, il semble que Godard s'approchaît de son chef-d'œuvre, qui lui aura toujours échappé (un peu comme Jean-Pierre Jeunet qui avait tourné autour d'Amélie avant de la trouver).

Finalement, même les films les plus ratés, les plus grossièrement réduits aux courses poursuites débiles, aux combats de coqs, aux histoires d'amour à l'eau de rose, comme le Casse, ont quelque chose de suffisant pour en faire des classiques: la musique—Morricone—les acteurs—Sharif—et une touche de ce génie Français: Belmondo. Il disait qu'il aimait tous ses films, même ceux qui n'étaient pas bons. Son public aussi. Certes, il y a dans ce film mal fait, l'une des cascades les plus spectaculaires de l'acteur, qui n'était pas cascadeur: celle où il dégringole dans la décharge d'une hauteur vertigineuse... Pour une fois, il la joue sincèrement, sans hésitation, sans retenue... il faut dire qu'il n'en avait pas. Cette cascade aurait pu le tuer. Ça aurait été impressionant avec des effets spéciaux, mais c'est un peu malaisant à regarder en sachant qu'il a vraiment été jeté ainsi en pature au petit-bonheur-la-chance dans une pluie de gros cailloux. Il n'est pas passé loin d'y laisser son souffle pour de bon, sans en être à bout, pour nous le couper à nous. Une autre époque, assurément. Mais quand même, quelle facilité d'Henri Verneuil, ce directeur génial qui avait pourtant su tirer le meilleur de l'acteur, d'avoir souvent tout misé sur l'esbroufe et la bande sonore. Quel gachis.

La morale de son œuvre, à Bébel, c'est encore le Magnifique qui nous la confie:

Tu sais, j'ai écrit 42 bouquins. Des petits... Mais, dans chacun, il y a 4 ou 5 bonnes pages.

Ce à quoi il nous faut répondre: «Ça fait le compte!». Chapeau, l'Artiste.