Je faisais, avant noël, un parallèle entre les révolutionnaires de l'Ancien régime et ceux de la république néolibérale d'aujourd'hui, entre les sans-culottes et les gilets jaunes. S'il est bien une figure que j'ai oubliée lors de cet exercice—je veux dire, une figure notable (?!)—s'il est un personnage qui semble s'imposer comme une évidence des événements, l'une de celles à propos desquelles Hugo déclamait
s'il est un nom qui s'écrit déjà au côté de ses actes et de ses paroles dans les annales de l'Histoire, c'est Jérôme Rodrigues. Quelle conviction! Et pour porter cette conviction, quelle maitrise de soi! Et pour porter cette prestance, quel physique! Et derrière ce physique, quel Homme! Dans la pondération de sa réaction face à sa mutilation cruelle, à son agression lâche, il a incarné l'héroisme froid et la sagesse implacable de celui qui a raison par delà toutes les colères, toutes les injustices, tous les crimes. Le désir de revanche ne s'efface de cette façon, qui tient plus à la purification qu'à la réparation, que lorsque celui qui en est comptable sait qu'au final, les comptes seront bons.
Qui serait donc ce personnage si l'on voulait l'identifier dans le palmarès des révolutionnaires d'antan? Je ne suis pas sûr qu'on le trouverait facilement parmis ceux qui ont foulés la place de Grève. Un tel acte Christique, il faut aller le chercher dans les écritures. Par exemple, dans ce dialogue, l'un des plus poignants de la littérature Française, qui est à écouter entre Mgr Myriel et le Conventionnel G dans les Misérables (ce serait donc, si l'on en croit les critiques, l'Abbé Grégoire). On y parlait déjà de ce thème qui est celui central du mouvement des gilets jaunes: la violence. Écoutons.
C'est du Victor Hugo, c'est ce qui a été écrit de plus beau, de plus vrai, de plus profond dans notre langue. Est-ce que ce n'est pas une clameur que l'on pourrait mettre dans la bouche d'un gilet jaune? Et plus loin encore, quand la colère s'est appaisée par le sacrifice, écoutons, écoutons:
N'est-ce pas là ce même dialogue que celui de Rodrigues, lorsque celui-ci, sur son lit d'hopital, appelle au calme et à la retenue, à la fraternité avec la police, mais sans concession à la determination et à la perséverance, au lendemain même de la perte de son oeil?
Quelle période formidable, où l'on voit se battre en image, jour après jour, la barbarie, la violence et la répression contre la dignité, le don de soi et le panache. C'est peut-être même la dernière fois... celle où on voit tout, où les smartphones sont autant d'yeux pour nous qu'il y a de mains pour les tenir. C'est incroyable, de voir une révolution comme ça, en direct, où les hauts faits et les tragédies sont filmées, vues et revues, plutôt que narrées. L'on voit les nez écrasés contre les pavés, les cranes explosés, les corps propulsés, roués, tabassés. Quelle violence incroyable de ceux censés assurer l'ordre. Ça vous fait réfléchir sur les grandes constantes du genre humain. Il est difficile d'admettre qu'une telle violence d'État, qui se gave de bonnes intentions, soit si facilement, si récuremment, si profusément dispensée. Mais les images sont là. Et c'est peut-être la dernière fois parce que ce qu'il en ressortira possiblement un régime tellement différent, en bien ou en mal, que les peuples n'auront soit plus besoin, soit pas l'option, de prendre la rue pour lui offrir leur nez, leur yeux, leur vie bientôt peut-être, au prix de la liberté et de la dignité. Les smartphones qui sont aujourd'hui du côté du peuple, seront demain du côté du pouvoir, si c'est lui qui gagne la partie. Tout le monde sera fiché, identifié, localisé, déjà condamné avant d'avoir même pu commencer à protester. Car cette révolution, Française encore une fois, est en train de changer la face du monde. En pire ou en mieux. Si c'est en pire, les débordements à venir seront le motif des répressions futures ("plus jamais ça"). Si c'est en mieux, ce sera parce qu'ils auront gagnés, et que la police sera de leur côté.