Nous vivons peut-être une période historique de l'Histoire de France, et par là même, de l'Histoire du monde, tant les révoltes hexagonales ont une propension à s'étendre sur le globe. Les tensions entre le monde d'hier, celui des nations pétries de leur specificités culturelles, et celui de demain, du mondialisme tirant à l'uniformité des droits et des devoirs de chacun, ces tensions là semblent tirailler les sociétés et les peuples au point de la déchirure. Il y a des craquellements aux quatre coins du monde. Mais à chaque fois, un rafistolement suffit pour que ça tienne encore un peu. Si rupture il doit y avoir, il ne serait pas surprenant qu'elle vienne de France, le pays du coq Gaulois, «le seul oiseau qui peut chanter les pieds dans la fange».
Parce que la France, en effet, c'est le Pays des contrastes, où le plus noble donne la main aux plus infâme, ou les idéaux se cotoient avec les plus basses ignominies, c'est le Pays des Misérables, où le même mot rassemble dans la même histoire, mais pour des interprétations différentes, Jean Valgean, Javert, Fantine et Thénardier.
Le plus grand des chamboulements dans notre histoire très contemporaine, c'est bien sûr la révolution Française. Il y a de tout, dans cette révolution. Il y a l'espoir du peuple, des sans-culottes, il y cet incroyable sursaut des consciences, cette bouffée d'air d'un renouveau social, presque spirituel, mais il y a aussi la violence qui s'empare des époques où ceux qui n'ont rien osent demander quelque chose et ceux qui ont tout exige encore le reste. Il y a surtout, en bout de course, la victoire des possédants, la défaite des illusions, la déception d'un changement profond pour ne donner, finalement, qu'un pouvoir renforcé à ceux qui ont réussi à rafler la mise, se trouvant plus forts encore puisque justifiés d'une part et n'ayant plus en face qu'une opposition exsangue, extenuée, mutilée, qui accepterait n'importe quelle trêve plutôt qu'un ultime effort pour obtenir la plus modeste de ses revendications initiales.
Ce qui est beau dans l'histoire des révolutions, c'est que les aspirations renaissent toujours. Ce qui est laid, c'est qu'elles semblent devoir à chaque fois se perdre inéluctablement dans une succession macabre de terribles violences, d'espoirs trahis, de concessions criminelles et, au final, de défaites totales qui laissent sur le champ de ruines, où elles finissent toujours par s'abandonner, le pouvoir absolu à leurs ennemis de toujours, qui ont libre champ de repartir de plus belle dans le sens opposé. Jusqu'à la prochaîne révolution.
Le mouvement des gilets jaunes à tout de suite revétu un air révolutionnaire. À part le pouvoir, tout le monde a pu se rendre compte, plus ou moins vite, que c'était un souffle profond qui parcourait le peuple et qui l'animait d'un désir de renouveau et d'une force qu'il serait vite délicat, puis difficile, puis impossible, de contenir. Maintenant, il semble qu'il soit trop tard pour que rien ne change profondément. C'est au moins le président, a priori la république, au plus la structure profonde de la société qui en auront à patir. La plus grande victime, au final, ce sera s'il on en croit la règle générale, le peuple lui même, qui jusqu'à cette heure, est encore le grand vainqueur. Le grand vainqueur parce qu'héroique, avec ses martyrs et ses victimes, ces gens qui donnent un oeil, un bras, leur vie, pour le droit de lever la tête, le grand vainqueur parce qu'encore légitime, sans violence, et dans son plein droit d'exiger, puisque, nous dit la révolution Française, "quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est pour le peuple, et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs". Quelle dignité du peuple Français de se draper de son drapeau, de chanter sa Marseillaise, de présenter son corps nu à la plus violente des polices Européennes, la seule en Europe, nous dit-on, à user d'explosifs pour "maintenir l'ordre", la seule dans le monde civilisé, peut-être, à viser à tir tendu sur les parties les plus symboliques et les plus fragiles du corps humain: la bouche, les yeux, le nez. Qu'importe que ce soit avec des balles en plastique. L'ignominie n'en est pas moindre de défigurer à vie, d'éborgner ou de traumatiser de n'importe quelle façon un peuple pacifique, que de le massacrer lorsqu'il s'armera, ce qui ne manquera pas d'arriver.
La révolution vient toujours avec ses revendications et avec ses revendicateurs. Ces derniers, les personnages qui portent ces premières, sont appellés à être projetés dans la postérité du jour au lendemain. Bien que nous ne le sachions pas encore, ceux qui ne font que l'actualité aujourd'hui sont peut-être les grands noms des futures générations. Car même derrière les grands noms, il n'y a, pour leur contemporains, que des personnes en apparence bien petites. Qui pour penser que derrière Jacline Mouraud, il y a, aujourd'hui, celui qui hier fût Danton? Ne lui ressemble-t'elle pas par son côté opportuniste, son discours audacieux et culotté, sa harangue «belle gouaille» du pouvoir, plutôt efficace, en même temps que ses postures assez louches et ses revers soudains, n'est-t'elle pas la première à se distancier des idéaux révolutionnaires avec son "club" des "modérés"? Qui derrière Priscilla Ludosky? Quelqu'un entre Marat et Olympe de Gouges, peut-être, une figure énigmatique assoiffée d'idéaux qui se cherchent, qui restera comme une icone maudite ou adorée selon la tournure que prendront les événements, du moment que son éviction soit rapide, sinon elle deviendra un mystère insondable de plus, un personnage impossible à définir et qui polarisera les imaginations. Drouet dans son propre role, c'est-à-dire, Eric dans celui de Jean-Baptiste, un avant-poste du petit peuple qui par une circonstante fortuite, par un hasard profond, se trouve propulsé au devant des évenements pour les chambouler à coups de pieds, et qui aujourd'hui comme hier nous invite aux extrêmes avec la candeur propre à ceux qui n'étaient rien avant de se retrouver au dessus de tous: «Soyons brigands, s'il faut l'être, pour le salut du peuple». Maxime Nicolle—quel nom predestiné à la révolution, et quel dommage de substituer à ce patronyme digne de 1789 un alias indigne même d'une révolution Bolchévique—Maxime Nicolle quelque part entre Saint-Just, Desmoulins et Gavroche... L'on pourrait s'amuser à trouver des ressemblances à tous les acteurs plus ou moins distants de cette tragédie qui se prépare, de cette actualité qui fermente en Histoire. Je ne veux même pas m'attarder sur ceux qui n'ont jamais été au premier rang, pas plus les rois que les présidents de la république monarchique (Hollande plus que Macron nous fait penser à Louis XVI, Fillon en Abbé Sieyès, Sarkozy en Napoléon-très-petit), ou les autres acteurs politiques plus ou moins associés aux événements en cours, tel Mélenchon en Hébert ou les députés Macronistes en un collectif Marie Antoinette.
Celui qui intéresse le plus, bien évidemment, c'est Robespierre, et Robespierre, dans cette histoire des Gilets Jaunes, c'est Étienne Chouard. Robespierre, c'est celui qui y a cru vraiment, c'est celui qui est porté par des idéaux sincères, c'est l'incorruptible qui lorsqu'il parlait, n'employait pas les mots en vain, que ce fut du Peuple, de Dieu, de la Liberté ou de la Mort. L'on peut dire de Chouard ce que Mirabeau disait de Robespierre: «il ira loin car il croit tout ce qu'il dit.» Chouard, tout comme Robespierre, a compris quelle était la pierre angulaire du changement profond, du changement nécessaire, ils sont ceux qui, dans les deux cas, detiennent le secret de la réussite. Avec Robespierre, c'était que la révolution devait être populaire, c'était le pouvoir de l'insurection, c'était que derrière le vocabulaire d'avocats il pouvait y avoir un idéal concret. Avec Chouard, c'est la réalisation que l'économie est l'instrument premier de l'esclavagisme moderne, que la liberté peut-être illusoire, même, et surtout, en République, et, plus que tout, c'est d'avoir compris qu'il existe un remède et que notre salut passera par l'appropriation du peuple du pouvoir constituant, un thème qu'il explore, qu'il étudie, qu'il promeut depuis des décennies, et qu'il a réussi, quel exploit remarquable, à avoir propulsé au devant des revendications des Gilets Jaunes.
C'est Robespierre, qui parle. C'est Chouard que l'on entend. Chouard va plus loin, parce que son constat, juste, évident, éclatant, est que la grande comédie de la démocratie nous asservit plus encore que les dictatures qui ne cachent pas leur nom. Il propose alors le tirage au sort, l'assemblée constituante, le référendum d'initiative citoyenne en toutes matières. Tous ces mots sont importants. Chouard est un technicien, il ne fait rien en surface, il ne fait pas de compromis:
C'est encore Robespierre. Il faut aller jusqu'au bout. Les deux s'accordent encore une fois dans une harmonie parfaite:
Robespierre toujours, mais Chouard dit exactement la même chose. Il est donc clair, d'une part parce qu'il a raison, d'autre part parce qu'il est la clef du véritable changement, et finalement parce qu'il le plus corrosif, le plus dangereux pour le pouvoir établi, que Chouard sera, comme Robespierre, la cible première de la contre-révolution, la victime principale de ce que l'Histoire retiendra des ruines qui resteront du souffle lorsque l'explosion qui se prépare à détonner sera passée. Pour Robespierre, l'on sait ce que la posterité a retenu de lui: l'ogre, le boureau, le sanguinaire, l'artisan de la terreur. Ils sont bien peu depuis son execution jusqu'à aujourd'hui à lui garder quelque admiration. Napoléon, qui mérite véritablement toutes ces accusations, a conservé plus d'estime et de gloire que la seule voix qu'a pu trouver le peuple d'alors pour le défendre. Et pourtant, Chouard et Robespierre, il suffit de les lire, de les écouter, pour entendre la pleine, forte et juste aspiration du peuple s'exprimer au travers d'eux. Autre trait commun que presque personne d'autre ne partage, les deux souffrent par ailleurs de cette même humilité profonde, de ce désir de s'effacer, de n'être qu'accessoires ou qu'instruments plutôt que maîtres ou décideurs. Ils font ce qu'ils font parce qu'ils n'y trouveraient autrement personne d'autre. Leur representativité, c'est un sacrifice. Écoutons encore Robespierre:
Lorsque l'on écoute Chouard, son insistance à se retirer personellement du processus constituant qu'il fait tout pour mettre en oeuvre en est presque embarassant. Il sera, sans aucun doute, taxé de lacheté, d'irresponsabilité, si par bonheur, le cours des événements le pousse plus loin encore. Mais plus que cela, il sera, comme Robespierre, diffamée, accusé des maux les plus extrèmes avec les mots les plus durs. Déjà, on en fait un "complotiste", un extrémiste, un illuminé. Puisqu'il n'y a rien de factuel à lui reprocher, on l'accuse de ne pas avoir été sectaire, d'avoir dit qu'il fallait écouter puis dialoguer également avec le monarchiste tout comme avec le populiste tout comme avec le "facho" et le "gauchiste", expressions qu'il reprend du vocabulaire politique actuel pour désigner les opinions diagonalements opposées de l'échiquier politique. Cette fois, c'est Chouard qui parle:
Voilà son grand crime, pour l'heure. Déjà plus grave que celui de Robespierre qui était de n'avoir rien dit. Leçon éternelle aux hommes populaires sur qui la juste postérité accumule tous les crimes contre lesquels ils n'ont pas osé protester. Mais il viendra bien pire.
Le mouvement des Gilets Jaunes ne doit pas se transfomer en parti politique, ce que bien évidemment tous les politiques, tous les intéressés et tous les idiots (à commencer par l'idiot national qui se veut leur tête de liste) appellent de leur voeu, car c'est l'émasculation certaine et immédiate, celle qui peut transformer la colère populaire Grèque en Syriza, ou transformer le 15M Espagnol en Podemos. Le mouvement des Gilets Jaunes doit conduire à la révolution moderne, contemporaine, celle qui consiste pour le peuple à s'approprier de son pouvoir constituant. Que la France trace le chemin, encore une fois, que le reste des nations suive. Le peuple a une force incroyable, inespérée, qui va bien au dela de son seul droit d'aller dans la rue, que l'on peut facilement lui retirer ou simplement restreindre (l'on a vu comment il était facile de faire flancher la participation aux Champs Elysées, par simples blocages de bus, de trains, d'accés au métro ou d'accés tout court, et d'aller ensuite titrer dans la presse aux ordre "essouflement" et "seuls restent les irréductibles"). La force du peuple, c'est qu'il a encore des traces de souveraineté, puisque l'on vit encore dans l'illusion de la démocratie, et cette illusion est suffisante pour se muer en manifestation concrète. Il y a, par exemple, et si l'on devait véritablement rencontrer des mesures plus drastiques pour étouffer le mouvement, la possibilité pour chacun de retirer ses liquidités des banques et de précipiter la chute bancaire qui sous-tend l'édifice politique. Et sur les décombres de ce cataclysme financier de repartir de plus belle, c'est-à-dire d'exiger le Référendum d'Initiative Populaire en toutes matières.
Il n'y a pas de temps à perdre. Ce sont là des libertés qui peuvent venir à s'effacer, puisque toute liberté est dangereuse pour un pouvoir qui se retrouve, du jour au lendemain, susceptible d'être annihilé par un référendum d'initiative populaire. L'on nous expliquera que le rationement des débits bancaire est une condition de la paix civile et par conséquent le premier devoir de tout citoyen de la vingt-cinquième heure (ou bien cela se fera plus facilement encore par la liquidation des liquidités). Que la manifestation dans la rue est la plus grande des offenses à la démocratie. Que la liberté d'expression est la plus nocive des hérésies contre la République (ou contre n'importe quel symbole qui s'érigera comme représentatif du bien et de la raison). Que la liberté est l'esclavage. Que Chouard est, ou n'est pas, Robespierre, selon l'image odieuse ou héroique que l'on garde de lui.