Que ma joie demeure est un roman de Jean Giono qui exalte la condition naturelle, en particulier le ressenti animal, qui est imaginé par l'auteur et retranscrit pour nous en donner une idée d'authentique appartenance à l'universel, d'harmonie heureuse avec la nature. L'homme, qui ne jouit pas de cet état d'innocence sauvage, est condamné à la tristesse ou, au mieux, à la sensation d’incomplétude et l'aspiration à cet état supérieur qu'il pressent mais qui lui échappe. Ceux qui réussissent à parfois se renouer avec cette félicité naturelle, ne peuvent pas, pour autant, la maintenir longtemps, et l'auteur nous intime que si la joie n'est pas toujours, elle n'est pas du tout. Aussi, même les esprits plus éveillés ne peuvent que s'équilibrer dangereusement entre la joie et l’abîme. C'est peut-être pour cela que le protagoniste, celui qui amène la joie, ou plutôt sa promesse, est un acrobate. Il réussira à mettre en branle une dynamique censé amener, instaurer puis pérenniser la joie dans une communauté de fermiers d'un plateau de la Provence, mais tout comme un tour trop périlleux, l'exercice s'achèvera en catastrophe. Lorsque la tristesse se transforme en un mal-être si insupportable qu'il conduit au suicide, l'on rencontre Giono dans ce qu'il a de plus génial: mettre la poésie au service de la mort pour les faire danser ensemble. Ici, c'est Aurore qui se tire une balle dans la tête.
Le personnage principal a un drôle de nom, Bobi, apparemment en reflet à Moby Dick (œuvre traduite par Giono). Le titre est inspiré de la célèbre cantate de Bach—«Jésus, que ma joie demeure»—mais, comme souvent chez Giono, l'aspect religieux voir même spirituel est soustrait: point de Jésus donc dans le titre, seule l'aspiration à retenir ce qui semble n'être pas grand chose, mais ce que seul les plus grands auteurs peuvent expliquer comment étant en fait le plus fondamental: la faculté de sublimer la conscience et l'intelligence par une connaissance innée et primordiale de l'existence. Cela se trouve, nous dit Giono, dans des graines que les oiseaux picorent, une procession d'amis sur une route de campagne ou la présence d'un cerf dans les bois. Comme expliqué dans les vraies richesses, cette réalisation lui vint de ses rencontres du Contadour. Il est facile pour tout lecteur d'identifier dans son expérience personnelles les expériences d'apparence insignifiantes qui sont pourtant des ponts à une vérité supérieure.
J'ai lu le roman lors de notre visite en Bavière en Juillet-Août 2022, l'emmenant avec moi à Cracovie, sur les routes et bords de lacs. L'arbre d'or fut planté dans le dos de Bobi sur le terminal du Ferry pour l'Angleterre, me broyant le cœur aussi férocement que si j'avais été sur la plateau Grémone.