Un homme sur un fauteuil

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Le chef du Hamas, يحيى إبراهيم حسن السنوار, Yahya Sinwar, a été "éliminé" par l'armée Israélienne.

La mort d'un homme n'est jamais anodine. Une exécution n'est jamais insignifiante. Lorsqu'elle tourne au massacre, elle ne laisse jamais indifférent.

Mais si l'on peut torturer le plus saint des hommes, même si l'on peut crucifier le divin—sur quels supplices fonder une église et bâtir une civilisation—l'on ne peut pas tuer, même de la façon la plus chirurgicale, le plus criminel d'entre eux.

L'eau, le pardon, lavent le sang. On ne lave pas du sang avec du sang, encore moins avec de la pisse.

Le martyre d'un terroriste, à supposer qu'il le soit, l'absout de ses péchés et le place à la droite de Dieu.

Je ne connaissais pas Sinwar et n'en connaît pas plus, même après avoir feuilleté le livre qu'il a écrit en prison—The Thorn and the Carnation—même si un titre dit déjà beaucoup de choses et que prendre la plume en prison en dit encore plus. Il semble qu'il aurait mérité, de son vivant, un peu plus d'attention de la part du reste du monde.

Sa mort lui donne enfin la parole: écorché, mutilé vif, il quitte une vie de désolations et d'horreur sur un final retentissant. Son supplice réjouit autant qu'il attriste.

Je vois que pour la majorité des observateurs, il est mort, comme Kadhafi, par la faute de ses bourreaux, en héros. Les dernières images de sa lutte sont celles d'un Palestinien: il a jeté du bras qu'il lui restait, un bâton sur un drone qui le harcelait comme une mouche. Enfant, il jetait sûrement des pierres sur les tanks. Qu'il ait pris des armes d'un autre calibre entre ces deux rejets de l'oppression, celui qui le jugera le lui pardonnera certainement; on m'a dit qu'il pardonnait tout.

Je vois surtout des manifestations de sympathie, du monde Arabe, bien sûr, mais pas seulement. Il est facile de s'émouvoir d'un homme que l'on achève à terre, surtout si c'est une machine qui est à la manœuvre. Pour ajouter du panache au pathétique, ce n'est pas au sol que Sinwar s'est incliné, c'est assis sur un fauteuil en meilleur état que lui, qu'il est resté debout. La symbolique est puissante: c'est aussi sur un fauteuil, parmi les décombres, qu'il asseyait son autorité et sa défiance face aux bombardements intensifs. Avec une pause de héros invincible, il semble intimer: «Tant qu'il restera quelque chose, vous me trouverez assis dessus. Il faudra tout réduire en poussière, moi avec, pour m’arrêter.» C'est fait. Lorsqu'il s'est assis sur ce fauteuil, à nouveau entre les murs éventrés, après s'être fait un garrot avec du fil de fer, il devait forcément y penser, à cette première fois, dans les décombres mais sous le soleil et en beau costume, où il pouvait rire à la face du chaos. Il ne riait probablement plus lorsque, couvert de poussière, de sang et de douleur, il s'asseyait pour la dernière fois, à la façon qu'ont ceux qui n'ont plus de jambe, de se tenir debout. Quelle fin! Quelle mort! Quel tremplin pour l'au-delà! Ce n'est pas tous les jours que l'on peut voir quelqu'un sauter dans l'infini.

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Il y aussi, bien sûr, les sentiments opposés: les réjouissances, les félicitations, jubilations et explosions de joies, de ceux qui célèbrent l'exécution d'un criminel.

Des extases partagées, l'une m'a particulièrement glacé. Une personne publique, dont Wikipedia m'apprend qu'elle est d'abord حسام بطرس مسيحة (dans sa calligraphie d'origine, qui est aussi celle de Sinwar), soit dit Hossam Boutros Messiha dans notre alphabet, devenu depuis Jean, un économiste d’extrême droite, se réjouit de la mort de Sinwar dans un bouquet d'ignominies: il commence par, semble-t'il, se moquer du deuil d'une personne apparemment affectée (la députée Franco-Palestinienne Rima Hassan, que je ne connais pas non plus mais, peut-on jamais mériter d'être raillé du supplice d'un autre?) Il poursuit par la fallacieuse justification du crime par le crime et il conclut enfin avec le bouquet d'honneur: «Son élimination est aussi jouissive que la pendaison d’Eichmann». C'est cette dernière comparaison—que je vois comme un lapsus tant le grand écart est douloureux—qui m'a donné un haut le cœur:

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Il remercie également ses alliés Israéliens (sans majuscule). Merci pour quoi? Pour assouvir quelle soif de sang, même pas versé, sinon mélangé à la poussière, pour nourrir quelle appétit de destruction totale, de hachis du corps humain?

Cette jouissance éjaculée à la face du monde est malvenue, lorsque celle-ci portait son poing fermé à la bouche pour ne pas vomir d'une exécution inhumaine au sens littéral du terme (à distance, par des machines, lui ayant coupé un bras, un doigt et ouvert la tête). Elle laissera, je crois, une tâche si indélébile que par delà l'orgasme impudiquement étalé au grand public, elle en souillera jusqu'aux livres d'Histoire.

Cette indécence, cette perte de la plus minime dignité—celle de se retenir devant un corps en lambeau—ne nous attardons pas dessus. Sur le moment, elle peut nous sembler presque aussi grosse que le crime lui même, mais comme elle est pétrie dans la bêtise, la lourdeur et l'aveuglement, elle n'ira guère plus loin, alors que la douleur, la haine et la cruauté, elles sont volatiles et nous accompagnent partout.

Retenons surtout ce qui nous accompagne aussi partout et tout le temps: la compassion, le pardon, la fraternité, l'admission que nous devons toujours être du côté de celui qui souffre, qui perd, qui meurt, surtout s'il a tort, ou même lorsqu'il a raison, mais toujours quand il est assis:

Je ne vaux pas mieux que ce qu'il peut y avoir de pire sur terre. Je l’ai dit et je le répète, tant qu’il y aura une classe inférieure, j’en ferai partie, et tant qu’il y aura un élément criminel, j'en serai, et tant qu’il y aura une âme en prison, je ne serai pas libre.
—Eugene V. Debs, Texte original en Anglais.